Cantal Patrimoine La chapelle de Boussac, commune de Saint-Simon, conserve une Vierge de Pitié intéressante, dont l’expression très particulière nous a récemment interpellée. Son visage, aux grands yeux, lèvres saillantes et nez pointu, révèle un ciseau bien caractérisé qui nous a fortement rappelé l’expression d’une autre statue, celle de sainte Scolastique, conservée dans la collégiale de Maurs. Les agrandissements photographiques semblent confirmer cette hypothèse. Cette statue de sainte Scolastique (sœur de saint Benoît), œuvre du sculpteur Antoine Troupel, possède comme à Boussac une expression très originale. Nous connaissons l’existence de ce sculpteur grâce à l’archiviste Léonce Bouyssou, qui l’a « pisté » inlassablement dans les archives à travers plusieurs commandes (prix-faits). L’archiviste attribue à Troupel les deux statues de Maurs sur la base d’un contrat passé auprès des bénédictins de Maurs en 1661[1]. Ses recherches nous apprennent encore qu’Antoine Troupel est originaire de Vic, qu’il se marie à Aurillac avec Anne Auzolle en 1647, qu’il meurt en 1673 et est inhumé dans l’église paroissiale Notre-Dame. « Qualifié d’abord de maître-menuisier, il est appelé couramment ensuite, à partir de 1661, maître menuisier et sculpteur » [2]. Comme elle le constatait avec regret, seules les deux statues de Maurs étaient identifiées, bien que ce sculpteur ait eu une certaine importance à Aurillac dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
Le plus ancien document découvert par Léonce Bouyssou remonte à 1646 et concerne la réalisation d’un retable pour la confrérie du Saint-Sacrement de l’église Notre-Dame d’Aurillac, dont il ne reste rien. En 1650, le prieur de Montvert lui commande un retable pour l’église paroissiale, disparu, que l’on ne connaît que par un dessin. La visite pastorale de Mgr de Marguerye, en 1843, mentionne un « grand autel » qui cache la « croisée ». Comme à son habitude, l’évêque recommande de dégager la fenêtre, ce qui a entraîné le démantèlement du retable de Troupel, en faveur d’un maître-autel plus « moderne », installé en 1843[3]. Malheureusement, il semble qu’aucune statue n’ait été conservée, l’église actuelle ne renfermant que des saints en plâtre. En 1656, ce sont les religieuses de l’ordre de Notre-Dame d’Aurillac qui commandent au sculpteur un retable avec tabernacle, disparu tout comme leur couvent. En 1661, Troupel réalise un retable pour les bénédictins de Maurs, dont il ne reste que les deux statues mentionnées plus haut. Le dessin préparatoire représente un retable comportant deux grandes niches latérales où se trouvaient probablement saint Benoît et sainte Scolastique, figures chères aux bénédictins, commanditaires du projet.
En 1662, Troupel fait un tabernacle pour le maître-autel de l’église de Trizac, que nous connaissons par un dessin préparatoire retrouvé par Léonce Bouyssou en 1996, et qui a quelques points communs avec celui de Maurs. Elle supposait qu’il avait disparu au moment de la mise en place du nouveau retable au XVIIIe siècle, cependant, ce tabernacle a peut-être été conservé en partie et intégré dans le nouveau retable[4].
En 1664, les Visitandines d’Aurillac commandent aussi un tabernacle, puis des stalles l’année suivante. Tout ce mobilier a disparu. Pour ce travail, il sous-traite la confection des quinze statuettes qui orneront les niches du tabernacle (le prix-fait mentionne leur taille, 14 pouces : 35 cm), à maître Moret, sculpteur à Tulle[5]. Une étude sur les sculpteurs tullistes Duhamel nous apprend que Troupel leur avait également sous-traité deux « figures couchées » et un bas-relief en 1655[6]. La réalisation d’un retable de grande taille impliquait en effet un travail d’équipe.
Quant à la statue de Boussac, pour laquelle aucun prix-fait n’a été découvert, on ne peut la lui attribuer que par comparaison stylistique et concordance des dates. Les correspondances entre les deux œuvres (forme du visage, de la guimpe, du voile) semblent assez flagrantes. Un document conservé aux archives départementales du Cantal nous apprend que c’est en 1663 que les paroissiens du village de Boussac demandent l’autorisation de bâtir une chapelle. Ils l’obtiennent de l’évêque en 1664, et placent la chapelle sous l’invocation de la Vierge. Ceci explique la commande d’une Vierge de Pitié, un vocable répandu dans les chapelles (une quinzaine dans le département)[7]. La toile qui orne le retable du maître-autel représente une Assomption, qui confirme la dévotion à la Vierge. Quant à la statue, qui représente une Vierge trapue portant son fils mort sur les genoux, ce serait donc la dernière œuvre connue d’Antoine Troupel, probablement sculptée vers 1665 lors de la mise en place du mobilier de la nouvelle chapelle. Elle est actuellement exposée sur un retable du XIXe siècle en bois brut, de style « néo-baroque ». L’autel porte le monogramme de Marie et a été visiblement conçu pour recevoir la statue, qui devait faire l’objet d’une vénération spéciale localement.
Pascale Moulier
[1]. Léonce Bouyssou, « Marchés et prix-faits passés à Aurillac aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue de la Haute-Auvergne, 1962, p. 170.
[2]. Ibid.
[3]. Pierre Moulier, « Frédéric de Marguerye, Un évêque archéologue dans le Cantal (1837-1852) », Patrimoine en Haute Auvergne, hors-série, 2008, p. 107.
[4]. Léonce Bouyssou, « Une œuvre inconnue du sculpteur aurillacois Antoine Troupel exécutée en 1662 pour l’église de Trizac », Revue de la Haute-Auvergne, 1996, p. 101-106.
[5]. Léonce Bouyssou, op. cit., 1962, p. 173.
[6]. Olivier Geneste, Les Duhamel, sculpteurs à Tulle aux XVIIe et XVIIIe siècles, PUL, 2002, p. 115.
[7]. Pascale Moulier, Chapelles rurales du Cantal, éd. de la Flandonnière, 2014, p. 26.