La fabrication du cantal dans les burons en 1927


Par Pascale Moulier

L’INA a mis en ligne un film d’une douzaine de minutes sur la fabrication du cantal dans les burons. Ce film appartient à une série produite par le ministère de l’agriculture de 1923 à 1939. Il s’agissait d’utiliser le cinéma comme nouvel instrument de propagande. Au sortir de la Grande guerre, la France avait perdu une grande partie de sa population agricole, et sa productivité était très faible en comparaison avec des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne ou les États-Unis. L’archaïsme de ses méthodes fut mis en cause et le ministère de l’agriculture envisagea pour y remédier l’utilisation du cinéma, « merveilleuse méthode d’éducation générale et de formation technique ». Celui-ci avait trois fonctions : éducative, de vulgarisation et récréative. La cinémathèque agricole avait pour vocation la diffusion de films « initiant aux pratiques d’exploitation du sol et des animaux, les meilleures et les plus rapides et les plus rémunératrices ». Elle avait aussi comme objectif de lutter contre l’exode rural en valorisant les carrières agricoles. Les films étaient prêtés gratuitement et les instituteurs, dont certains avaient été dotés d’appareils de projection 35 mm, faisaient partie des emprunteurs privilégiés, avec les écoles d’agriculture et les communes qui organisaient des projections.

Plus de 500 films vont être réalisés avant la seconde guerre mondiale et celui sur la fabrication au buron fait partie de la période la plus faste. Les idées hygiénistes sont omniprésentes comme on peut le voir avec la dénonciation de « conditions d’hygiène souvent défectueuses » dans les étables en hiver, auxquelles on oppose la production du fromage en montagne, jugée plus saine. Le film, muet, est entrecoupé de sous-titres instructifs, où les termes en patois sont indiqués entre parenthèse. Il commence par cette introduction : « Depuis des temps très reculés, diverses régions de notre Plateau Central produisent un type de fromage dont le mode de fabrication est remarquable par son originalité, c’est le fromage du Cantal ». On voit d’abord un jeune pâtre amenant les veaux vers leurs mères, puis le fromager (le Cantalès) et ses aides effectuant la traite, puis l’ajout de la présure, dosé dans une éprouvette, la découpe du caillé avec le brise-caillé (ménole), et enfin le brassage avec la palette appelée atrassadou et la suppression du petit lait. On voit ensuite le broyage du caillé, l’ajout du sel et le pétrissage, le remplissage des moules, la mise sous presse et pour finir le démoulage et la mise en cave. Une enquête de 1931 révéla que la propagande n’opérait pas, les ruraux n’étaient pas défavorables au cinéma mais les films éducatifs étaient dédaignés au profit des sujets coloniaux, exotiques et divertissants… Aujourd’hui, nous ne boudons pas notre plaisir en redécouvrant ce petit film, témoin d’une vie rurale « améliorée » au début du XXe siècle.

Ce film est disponible sur le site de l’INA ou en tapant dans la barre de recherche de votre ordinateur : https://www.ina.fr/video/VDD10045538/le-fromage-du-cantal-video.html.

 

Source : Alison Lévine, « Cinéma, propagande agricole et populations rurales en France (1919-1939) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2004 (n° 83), pages 21 à 38.