Les chapelles de Trizac (La Chassagne ; Lieuchy)


Par Pascale Moulier

De nombreuses chapelles ont été fondées et bâties à l’époque moderne. Plusieurs cas de figures existent, mais à Trizac, ce sont les villageois qui se mobilisent pour fonder et édifier les chapelles de secours de Lachassagne et Lieuchy, en 1646 et 1647, en raison des difficultés liées à l’éloignement de l’église paroissiale.

Plan cadastral, 1837.

 

Construction de la chapelle de Lachassagne

Le 26 juin 1647, Mgr Joachim d’Estaing, évêque de Clermont, permet aux villageois de Lachassagne de bâtir une chapelle : « Considérant que leur église et paroisse est située distant d’une lieue et que par ainsi ils ne peuvent les fêtes et dimanches assister à la messe et particulièrement en hiver. C’est pourquoi désireux de leur salut honneur et gloire de Dieu ont résolu bâtir et faire construire une chapelle au susdit village de la Chassagne et Chauvel de la terre et seigneurie de haut et puissant baron de Monbrun, laquelle ils ont dévotion de dédier et consacrer à l’honneur de la glorieuse Vierge mère, sous les noms de Notre-Dame de liesse et consolation ». Pour cela, les habitants établissent une fondation annuelle à perpétuité de douze setiers de seigle, un revenu qui permettra de subvenir aux besoins matériels et à la rétribution du prêtre. La chapelle fut construite et la permission de dire la messe fut accordée le 26 juillet 1652.

Autorisation de Mgr Joachim d’Estaing de bâtir la chapelle de Lachassagne, 26 juin 1647. Archives diocésaines.

 

 

 

Cadastre napoléonien (1837) où l’on voit la forme de l’ancienne chapelle de La Chassagne démolie en 1852.

 

Après la Révolution, la chapelle de Lachassagne est réouverte au culte en 1802, puis érigée en chapelle vicariale en 1845. En août 1847, elle est érigée en succursale (nouvelle paroisse) mais elle menace ruine et sera interdite en 1851, le curé étant obligé de célébrer la messe dans une maison particulière. L’abbé Andrieu, curé à partir de 1851, va prendre en charge la reconstruction. Les plans sont dressés en 1852 par l’architecte Chauliaguet. Les villageois fournissent les matériaux et les transportent sur place. Ils logent et nourrissent les ouvriers à tour de rôle et ouvrent deux souscriptions pour financer les travaux, mais tout ceci à l’insu de l’administration. Les travaux presque achevés, les fonds viennent à manquer. Les habitants s’adressent alors à l’administration et apprennent qu’ils sont dans l’illégalité : « Mais les habitants de Lachassagne, estima le préfet, situé en pleine montagne, éloignés du centre de l’autorité, n’ont peut-être pas même été avertis en temps utile de l’irrégularité de la marche où les engageait un zèle imprudent et l’on peut trouver des circonstances très atténuantes dans l’énormité des sacrifices que la succursale s’est imposée car elle ne referme que 59 électeurs ». En réalité, trois curés des environs (un chanoine de Tulle, et les curés de Menet et Saint-Amandin) étaient originaires de Lachassagne et financèrent une partie du projet.

Chapelle actuelle de La Chassagne.

 

Construction de la chapelle de Lieuchy

Copie de la fondation de la chapelle de Lieuchy en 1646. Archives diocésaines.

Le Dictionnaire statistique du Cantal nous dit qu’en 1650 il y avait une belle chapelle près du château, mais il ne reste rien, semble-t-il, de cet édifice. La volonté de construire une chapelle à Lieuchy remonte à septembre 1646, donc un an avant Lachassagne.

Le curé de Saignes fut mandaté par l’évêque de Clermont, Joachim d’Estaing, pour se rendre à Lieuchy. Son procès-verbal datant du 15 octobre 1646 nous apprend différentes choses. Les habitants lui ont fait savoir « qu’ils désiraient faire ladite chapelle au couderc commun dudit village et proche d’un grand arbre qui est d’un coté et d’un buisson de l’autre »[1]. Le curé de Saignes estime que le lieu est « propice et convenable » et que la construction se justifie étant donné qu’il y a 25 maisons et 123 personnes environ et qu’il est éloigné « d’une lieue de montagnes du dit lieu de Trizac et que la plupart du temps les dits habitants ne peuvent aller entendre la messe audit Trizac à pied ni à cheval à cause des grandes quantités de neige ». Il prend note de la fondation qui s’élève à dix setiers de seigle. L’évêque permet la construction de la chapelle et son successeur (et frère…), Louis d’Estaing, se rend à Lieuchy lors de sa tournée de visites pastorales en juillet 1652. La chapelle est édifiée, il peut accorder l’autorisation de dire la messe mais sous certaines conditions : les dimanches et fêtes, de novembre à mars, et en juillet-août. Il ne devra pas y avoir de reinages (fêtes des saints avec enchères), pas de baptêmes ni de mariages. Les statuts de la chapelle de Lachassagne ont servi de modèle, car cette dernière a été érigée plus rapidement. Ce texte nous apprend encore qu’à cette date (juillet 1652) le lambris n’est pas achevé, que les murs sont encore à blanchir et qu’une fenêtre était ouverte sur le mur du fond. L’évêque demande à ce qu’elle soit murée et qu’un retable occupe le mur à égale distance.

Le service fut supprimé pendant la Révolution et rétabli par Mgr de Belmont en 1804. La chapelle bénéficia d’une campagne de travaux en 1840, comme nous l’apprend la date indiquée sur le retable, menée par Guillaume Chadefaux, curé de Trizac de 1828 à 1868. Le retable a été commandé à Jean Peuch aîné de Salers, qui rénovait activement dans ce secteur les retables détériorés à la Révolution[2]. Il est composé de panneaux à faible relief, et son décor de guirlandes de fleurs et de bandes de couleurs vives est typique de l’art populaire de nos campagnes. Il reçoit en son centre un tableau ancien du XVIIe ou XVIIIe siècle, de bonne facture, qui a été recoupé en bas et provient probablement du précédent retable du maître-autel, car saint François de Sales, patron secondaire de Lieuchy, y est représenté. Cinq niches contiennent des statues provenant également du précédent retable qui sont de la main du sculpteur muratais Jean Boyer actif dans la première moitié du XVIIIe siècle[3]. Ce dernier avait travaillé à Apchon avec Joseph Journiac et c’est certainement à cette occasion qu’il a récupéré d’autres contrats dans ce secteur. Ces statues représentent saint Jean-Baptiste, saint Pierre, saint François de Sales, sainte Marthe et Dieu le père bénissant. Sur les panneaux latéraux, Jean Peuch a peint dans de faux cadres les figures de saint François de Sales, patron secondaire, et de saint Guillaume, saint patron du curé commanditaire (Guillaume Chadefaux). Dans la partie supérieure, des ailerons en trompe-l’œil sont encadrés par deux anges en prière tout à fait caractéristiques du style de Jean Peuch aîné.

 

Retable de 1840 de Jean Peuch aîné.

 

Statues du sculpteur Jean Boyer de Murat. XVIIIe siècle.

 

[1] Josiane Teyssot, « La fondation de la chapelle de Lieuchy, commune de Trizac », bulletin du GRHAVS, 1983.

[2] Voir Pierre et Pascale Moulier, « La dynastie Peuch, peintres et sculpteurs au XIXe siècle », Patrimoine en Haute-Auvergne n° 26, 2013.

[3] Voir Pascale et Pierre Moulier, Trésors des églises du Cantal. Comprendre le patrimoine mobilier de nos églises, éditions de la Flandonnière, 2016, p. 85.

 

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