Retour sur le mobilier de l’église d’Allanche


Par Pascale Moulier

Retour sur le mobilier de l’église d’Allanche

L’église Saint-Jean-Baptiste d’Allanche renferme un patrimoine exceptionnel qui fait de cet édifice roman, déjà remarquable en soi, un véritable musée d’art religieux. La plupart des oeuvres sont restaurées et accessibles au public. La statuaire d’Allanche est constituée de plusieurs pièces médiévales d’exception : une Vierge de tendresse du XIVe siècle, une Piétà du XVe siècle, un Ecce homo ou Christ aux liens, iconographie rare dont on ne connaît que trois exemplaires dans le cantal. De nombreux tableaux illustrent la générosité des paroissiens pour leur église. Plusieurs copies : une Sainte Marguerite d’après Raphaël, une Prédication de saint Jean-Baptiste d’après Léonard de Vinci, un Supplice de saint André exécuté d’après Van Loo. Quelques œuvres originales également, comme La stigmatisation de saint François, du XVIIIe siècle, ou L’éducation de la Vierge œuvre d’un peintre aveyronnais, Romain Laporte, qui exerçait dans les années 1830-40 et reçut plusieurs commandes dans le Cantal, à Albepierre, Paulhenc et Lieutadès. Romain Laporte pratiquait une peinture un peu naïve, colorée et lisible, loin des modes officielles.

Les stalles

Allanche conserve également un ensemble de vingt-neuf stalles que l’on peut attribuer au XVIe siècle tant les costumes et les décors sont caractérisés et expriment le vocabulaire typique de la Renaissance. Rappelons que les stalles recevaient les membres du clergé. L’assise, mobile, permettait d’alterner la station assise et debout en s’appuyant sur la miséricorde, qui accueille souvent des sculptures particulièrement fantaisistes. L’utilisation de personnages sacrés ou de scènes religieuses était en effet inenvisageable à cet endroit, les clercs ne pouvant reposer leur postérieur sur les effigies de la Vierge ou des saints ! Ces stalles sont équipées de parcloses qui séparent les sièges, dont les accoudoirs sont également sculptés, ici d’animaux fantastiques divers. Aux extrémités des rangées de stalles se trouvent les jouées, qui reçoivent aussi un décor. L’ensemble de stalles le plus connu du Cantal est aujourd’hui dispersé dans les églises de Saint-Chamant, Saint-Illide et Saint-Cernin, mais Chaudes-Aigues, Maurs et Allanche conservent aussi des pièces intéressantes. L’étude des costumes permet souvent de les dater. À Allanche, les personnages portent des manches à crevés ou « en gigot », certains portent des casques d’inspiration antique. Une femme à double tête porte une coiffe à « templettes » (portée dès la fin du XVe siècle). Comme l’a établi Bernard Vinatier, les stalles hautes étaient surmontées d’une balustrade, ou plus précisément d’une claustra, comme on peut encore en voir à Besse-en Chandesse (voir photo ci-contre) ou à Blesle. Les thèmes  des miséricordes d’Allanche se déclinent sous deux formes, animaux réels ou fantastiques et personnages faisant des gestes avec leurs doigts, dont la signification reste obscure. Certains, le doigt sentencieusement levé, semblent « faire la leçon » ; un autre désigne sa bouche de son index tendu de façon plus mystérieuse. Quelques-uns se saisissent de feuillages, un motif dans lequel il ne faut pas nécessairement chercher un sens symbolique mais plutôt une façon efficace d’occuper l’espace de la miséricorde. Sur les jouées on peut voir divers médaillons montrant une femme et un homme de profil, saint Sébastien et saint Antoine, un dragon et un poisson couronnés. On voit que les registres sont très divers.

La porte de l’église est également remarquable. On y trouve sculptés en bas-relief un Ecce homo et les trois vertus théologales : la Foi, l’Espérance et la Charité. Le style est ici aussi caractéristique de la Renaissance (maniérisme des figures, niches, coquilles, damier en trompe-l’oeil). La tradition voulait, à Allanche, que ces bas-reliefs aient été réutilisés dans la création d’une nouvelle porte au XVIIIe siècle. Mais la restauration de 2013 aurait permis de démentir cette opinion, car les panneaux semblent trop ajustées pour être le fruit d’une bonne adaptation (base Palissy). Cependant, comment expliquer le bon état de conservation de ces sculptures placées à l’extérieur, sinon par un remploi, et comment expliquer la présence de la partie supérieure de style baroque, les panneaux étant eux de facture beaucoup plus ancienne ? On peut même penser que les quatre panneaux pourraient être de la même main que les stalles. On retrouve en effet l’aspect effilé et maniériste des personnages et l’effet de trompe-l’oeil composé d’un damier tracé au ciseau dans les deux cas (voir le saint Antoine de la jouée). On peut imaginer que ces bas-reliefs surmontaient à l’origine certaines stalles, en manière de dossier, mais il ne s’agit que d’une supposition.

 

Le maître autel baroque

Le retable du maître-autel est étroitement enchâssé dans la petite abside romane, dont la baie axiale a été bouchée afin de le recevoir. On sait grâce au recherches de Léonce Bouyssou que l’on doit le beau tabernacle au sculpteur sanflorain Jean Barbe, actif vers 1650. Ce tabernacle avait servi de modèle à celui de l’église collégiale de Murat, disparu aujourd’hui. Il s’agit d’une architecture complexe à trois niveaux, composée de huit niches, de balustrades, de colonnes torses et d’ailerons, eux-mêmes faits de feuillages, de profils humains et de dauphins, un vocabulaire de formes typique du style baroque. Une coupole ajourée contient une effigie de Dieu le Père bénissant (peut-être placée ailleurs antérieurement), surmontée d’une statuette du Christ de la Résurrection. Les niches contiennent encore leurs statuettes : saint Barthélemy, Sébastien, le bon pasteur, Jean-Baptiste, Roch, deux évêques, etc.

La chapelle comprend également un très beau lutrin classé du XVIIe siècle, de même facture que les deux éléments sculptés qui ferment le choeur. Qualifiés de torchères par différents auteurs, il pourrait s’agir plus précisément de « porte-courtines d’autel ». Il semblerait que cet élément liturgique ait été assez rare ou en tout cas qu’il n’en existe que peu d’exemplaires conservés. Un « porte-courtine d’autel » est constitué de barres horizontales portées par des supports verticaux, ici directement fixés au mur et amovibles, auxquelles sont suspendus des rideaux ou « courtines d’autel ». Le porte-courtine d’autel délimite un espace autour de l’autel (information tirée du thésaurus de la base Palissy). Les exemplaires d’Allanche sont surmontés de deux bustes reliquaires, qui devaient sacraliser encore davantage l’espace contenant le tabernacle.

Un curieux autel

L’église d’Allanche conserve un curieux autel que l’on remarque à peine aujourd’hui et qui contenait pourtant le plus précieux trésor de la ville. La tradition dit qu’Allanche devrait son nom et en partie son origine à l’os de la hanche de Jean-Baptiste conservé dans l’église et rapporté des croisades par un chevalier. Il s’agit d’une étymologie fantaisiste mais qui permettait de rattacher la relique honorée à Allanche à la sonorité du nom de la ville. Les reliques de saint Jean-Baptiste étaient conservées dans une cavité creusée à même un vieil autel de pierre, fermée par une grille de fer. L’autel entier est ceint de lourds barreaux et d’une serrure à trois verrous et trois clés, qui semble remonter à l’époque médiévale. Pourquoi trois clés et qui les possédaient ? Peut-être les marguilliers en charge de l’entretien de l’église. On sait que les coffres des marguilliers ou fabriciens étaient souvent équipés de trois serrures (on peut encore en voir un dans l’église de Bredons) et cet autel se présente effectivement comme un véritable coffre-fort ! Le bardage de fer, selon le Dr Peschaud (auteur d’une monographie sur Allanche), simulerait une prison afin de symboliser l’emprisonnement de Jean-Baptiste. Cette hypothèse paraît peu probable. En revanche, posséder une aussi insigne relique de saint Jean-Baptiste devait inciter à la plus grande prudence, car les vols de reliques étaient fréquents. On connaît le cas, localement, du vol d’un doigt de la main de saint Germain à Cézens par une « folle de Brezons ».

L’autel de pierre comprenant la loge à relique est surmonté d’un retable néo-gothique composé de cinq scènes de la vie de saint Jean-Baptiste  : apparition de l’ange à Zacharie, la Visitation, la naissance de Jean, le baptême du Christ, le festin d’Hérode.

La fête de la saint Jean était un événement très important à Allanche, et bien documenté. Les reliques étaient vénérées, la statue portée en procession, et la fête qui durait trois jours revêtait un caractère à la fois religieux, populaire et chevaleresque. Ces traditions ont progressivement disparu, mais avant la seconde guerre mondiale, il existait des survivances dont parle le Dr Peschaud : « Dans l’église, sous la chaire, était placée une bouteille de vin rouge, et après avoir vénéré la relique du saint, on pouvait boire quelques gouttes de ce breuvage dans sa main ».