La peste noire dans le Cantal, un aperçu à travers les archives de Dienne


Par Joséphine Moulier

Les épidémies sont une constante de l’histoire. En 1348, la peste noire se répand dans toute l’Europe, réduisant la population d’un tiers voire de moitié. Les montagnes cantaliennes n’ont pas été épargnées par le fléau, et les Auvergnats du XIVe siècle ont été durement éprouvés. Gabriel Audisio a bien étudié la question de la peste en Auvergne, et de manière plus générale les crises démographiques du XIVe siècle, à travers deux articles parus  en 1968[1]. Plus anciennement, Marcellin Boudet et Roger Grand avaient consacré une étude aux épidémies de peste en Haute-Auvergne, entre le XIIe et le XVIe siècle[2]. À partir de là, nous pouvons reconstituer une chronologie approximative de l’arrivée de la peste noire en Auvergne. Elle semble toucher précocement la ville d’Aurillac en 1346 et s’accompagne d’une famine. Elle atteint massivement l’Auvergne dans la première moitié de 1348 et c’est à ce moment-là qu’elle est la plus virulente car elle est   renforcée par un hiver très humide. En 1350, l’abbé d’Aurillac écrit au pape que son monastère a beaucoup souffert de la peste et de la mortalité. D’autres vagues de peste touchent l’Auvergne en 1361 et 1384.

Une étude à l’échelle de la région de Dienne permet de connaître plus précisément les conséquences d’une telle épidémie. Grâce à des registres réguliers et complets, il est possible de faire des études statistiques, même s’il faut rappeler le caractère extrêmement complexe des statistiques médiévales. Celles-ci, loin de donner une image de la réalité ou des comptes exacts, ne peuvent que fournir un ordre d’idée général. En effet, au Moyen Âge, on mène des enquêtes et des recensements de population pour montrer son pouvoir et administrer son domaine, et non pour obtenir des résultats précis. Néanmoins, la série de terriers[3] conservés dans la sous-série 1E des archives départementales du Cantal permet de faire quelques comparaisons. La liève de 1348[4] est très précieuse car elle fournit un état de la population de la seigneurie de Dienne[5] juste avant les crises démographiques. Elle est datée du 15 août mais l’on peut supposer que les informations ont été recueillies quelques mois avant la rédaction. La mortalité est déjà présente, à en juger par le nombre important de veuves (11%) et d’orphelins (10%). La seigneurie abriterait une population de 224 feux[6] (soit au moins 800 habitants environ) dont 71 pour le seul village de Dienne (au moins 250 habitants).

À partir de 1352, les raids des routiers et des Anglais dans le cadre de la Guerre de Cent ans s’ajoutent aux effets de la peste noire et accentuent la mortalité. En 1352, les habitants de Cheylane (Laveissenet) expliquent que le fléau a littéralement décimé la population de la châtellenie[7].

En 1365, le vicomte de Carlat fait réaliser un état des feux de sa seigneurie, dont fait partie la vicomté de Dienne. On y comptabilise 41 feux, ce qui impliquerait une division par cinq de la population de Dienne. Nous ne connaissons pas le détail du calcul de 1365 et l’on peut supposer que ce chiffre est exagéré ou peu fiable. Néanmoins, il donne un ordre d’idée des conséquences dramatiques de la peste noire sur les habitants des Monts du Cantal. Il faut rappeler qu’en 1361 avait eu lieu une deuxième vague très meurtrière qui touchait notamment les bébés et jeunes enfants nés pendant l’accalmie. À titre de comparaison, on peut rappeler que les faubourgs de Saint-Flour perdent, entre 1314 et 1356, environ 63 % de leur population[8].

Ces chiffres concordent largement avec la situation générale du royaume de France à la même époque. Les montagnes n’ont pas été épargnées par le fléau. Néanmoins, les études plus récentes ont montré que ces données concernant la diminution de la population devaient s’analyser en amont des crises de la fin du XIVe siècle, en raison d’une décroissance naturelle liée à la saturation de l’espace. Malgré ces nombreuses périodes de crises et d’épidémies, entrecoupées d’accalmies, on observe les signes de la reprise démographique et agricole dès la fin du siècle, et surtout au XVe siècle.

Joséphine Moulier

 

[1]. G. Audisio, « La peste en Auvergne au XIVe siècle », Revue d’Auvergne, 1968 et « La crise démographique en Auvergne au XIVe siècle, Revue de la Haute-Auvergne, 1968.

[2]. M. Boudet, R. Grand, Étude historique sur les épidémies de peste en Haute-Auvergne (XIVe-XVIIIe siècle), Picard, 1902.

[3]. Terriers et lièves sont des registres réalisés par des notaires à la demande des seigneurs. Ils recensent les tenanciers, leurs possessions et redevances dues dans le cas des terriers, ou simplement les redevances dans le cas des lièves.

[4]. Archives départementales du Cantal, 1 E 693.

[5]. Attention : au Moyen Âge et particulièrement dans le Cantal, les seigneuries sont très éclatées et ne correspondent pas aux territoires paroissiaux. Les terriers et lièves ne donnent donc pas un état de la population de la paroisse médiévale de Dienne (communes actuelles de Dienne et Lavigerie) mais de la seigneurie. Néanmoins, la seigneurie de Dienne étant importante, elle recouvrait la majeure partie de la paroisse et au-delà.

[6]. Si l’on reprend le coefficient de 3,5 personnes par feux proposé par Pierre Charbonnier, coefficient qui reste très bas pour le Moyen Âge. On peut donc imaginer un nombre d’habitant plus élevé que l’estimation proposée à partir du nombre de feux.

[7]. Alice Garrigoux, Les franchises des communautés d’habitants en Haute-Auvergne du XIIIe siècle à la fin du XVIe siècle, Thèse d’école des Chartes, 1939.

[8]. Pierre Chassang, Saint-Flour: histoire d’une forteresse, histoire d’une cité, des origines au début du XXIe siècle, éditions Créer, 2011, p. 155.